Séance 2 : Ça bouge ! Le mouvement à l’intérieur du cadre

Confidences d’un illustrateur

 « Pour tenter de définir mon approche personnelle du métier, peut-être devrais-je commencer par évoquer mes débuts. Prenons par exemple cette séance de cinéma avec un groupe d’écoliers, à Londres, il y a environ quarante-cinq ans, lors de la première présentation du film Les Enfants du paradis […] C’est une autre image ou une autre séquence tirée de ce film qui, j’en prends rétrospectivement conscience, m’a marqué de façon durable… celle de Jean-Louis Barrault dans le rôle du fils Debureau et, en particulier, cette scène où il est assis sur un tonneau devant le théâtre des Funambules, bras et jambes ballants, telle une marionnette, jusqu’à l’instant où il s’anime pour mimer la scène du vol de la montre qui vient de se dérouler sous ses yeux. Cet épisode du film et l’ambiance qui l’imprègne sont restés gravés dans ma mémoire. J’y retrouve la toute-puissance du mime, qui, à mes yeux caractérise une part essentielle de l’acte d’illustrer : raconter une histoire en la jouant. » - La vie de la page, Quentin Blake, Gallimard Jeunesse, 1995

 Couverture et pages de l'album Clown

Confidences d’un réalisateur

« A cette époque, je faisais un peu de mime, et j’ai toujours pensé que ça m’a beaucoup aidé pour faire de l’animation. Mon professeur de mime, Maximilien Decroux (le fils du grand Etienne Decroux qu’on voit dans « Les Enfants du paradis » de Marcel Carné) a la même théorie dans le mime : “Vous faites le geste mais ce n’est pas l’extérieur qui compte, c’est l’intérieur. Ce que vous mettez dans le geste doit venir du centre”. Pour moi, l’animation, c’est ça. Il faut être dans l’épure, être le plus simple possible en fonction de ce qui est essentiel à exprimer. Il faut que tout ait un sens, donc ce n’est pas la peine d’en faire trop. » - Format court, rencontre avec Jean-François Laguionie, 2012

Affiche et photogramme du film Le tableau

Pour l’illustrateur Quentin Blake comme pour le réalisateur Jean-François Laguionie, la création d’un personnage crédible relève à la fois des arts graphiques et du mime. Pour donner vie à leurs créatures, ils les incarnent. Ils miment leurs postures, leurs mouvements et leurs expressions avant de les dessiner.

Les albums comme les films sont composés d’images fixes…

Dans les albums, les mouvements des personnages sont figurés par des moments arrêtés. Par exemple dans Clown, Quentin Blake représente la chute de son personnage en deux images clés. La première montre le clown en déséquilibre sur le bord de la poubelle, la deuxième lorsqu’il est au sol. La trajectoire parcourue est suggérée, le lecteur la recompose à partir de deux instants dessinés.

Extraits de l'album Clown

Observons maintenant la bande d’un praxinoscope. Elle est constituée d’images représentant les douze phases d’un mouvement. En l’occurence, trois clowns font des cabrioles autour d’un cheval immobile. Lorsque ces images défilent dans le tambour du praxinoscope, l’illusion du mouvement est parfaite, les clowns bougent !

Bande d'un praxinoscope représentant les cabrioles de 3 clowns

Bande d'un praxinoscope représentant les cabrioles de 3 clowns - détail

De nombreux illustrateurs s’inspirent du principe de la décomposition du mouvement révélé dans les objets du précinéma.

Quelques exemples :

Image tirée du livre De haut en bas, représentant la trajectoire d'un ballonDans son album De haut en bas, Betty Bone met l’accent sur certains éléments en mouvement en les représentant par une succession de dessins. Par exemple, dans l’image ci-contre, nous suivons la trajectoire du ballon en cinq étapes. Le temps qui passe est représenté par la couleur, de la nuance la plus claire à la nuance la plus intense. Il en est de même avec les ailes du pigeon représentées dans six positions à l’aide de nuances de gris.

Image tirée du livre Tortue vole !, sur laquelle saute une tortueDans l’image ci-contre, Jean-Luc Buquet traduit le saut de la tortue en suggérant les battements des pattes avant par le dessin simultané de trois positions. La technique du monotype lui permet de tracer des traits plus ou moins chargés en matière.

Au niveau des pattes arrières, il ajoute des « tirets de mouvement ». L’emploi de ce code graphique emprunté à la BD renforce l’impression du saut de la tortue.

Jean-Luc Buquet a réalisé un film d’animation, La fabuleuse ascension de la tortue grise à partir de son album. Les choix de cadrage entre l’album et le film sont intéressants à interroger.

Double page extraite de l'album Les Oiseaux

 

Enfin, cette double page extraite de l’album Les Oiseaux d’Albertine et de Germano Zullo (1) montre avec beaucoup de délicatesse le premier vol d’un oiseau. Le mouvement hésitant de l’oiseau noir est représenté par douze dessins successifs. La représentation du vol cohabite avec l’assurance tranquille du camionneur immobile.

La décomposition du mouvement visible dans l’espace de la page est le plus souvent imperceptible à l’écran. Pour que l’illusion du mouvement fonctionne la décomposition doit être cachée. Toutefois, certains réalisateurs font le choix artistique de rendre apparente cette décomposition.

Deux exercices pour une éducation du regard

  • Le renard et la musique, Fatemeh Goudarzi, 2012 (2)

➡ Pourquoi la réalisatrice montre-t-elle sur la même image des poses successives du renard ?

Réalisé dans le cadre de l’institut Kanoon, la cinéaste iranienne Fatemeh Goudarzi met en scène un petit renard silencieux sensible aux sons de la nature. Un séjour sous terre lui permet de découvrir sa propre musique.

Photogrammes du film Le renard et la musique

  • Les Trois Brigands, Hayo Freitag, 2007

  • Ernest et Célestine, Benjamin Renner, Vincent Patar, Stéphane Aubier, 2012

    

Photogrammes des films Les Trois Brigands et Ernest et Célestine

➡ Dans ces deux photogrammes, pourquoi montre-t-on une démultiplication des bras ? 

Étrangement, ce choix graphique peut s'expliquer par la volonté de ralentir ou à l'inverse d'accélérer les actions représentées.



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1) Depuis leur rencontre avec le réalisateur Claude Barras, Albertine et Germano Zullo participent à des projets de films d’animation adaptés pour l’essentiel de leurs albums. Le génie de la boîte de Raviolis, Albertine, Germano Zullo, La joie de lire, 2002, Le génie de la boîte de Raviolis, Claude Barras, 2005, Les oiseaux, Albertine, Germano Zullo, La joie de lire, 2010, Les oiseaux, Célia Rivière, 2019, Les Gratte-ciel, Albertine, Germano Zullo, La joie de lire, 2011, Les Gratte-ciel, Fabienne Giezendanner, 2017 Sur le site de l’éditeur La joie de lire, vous pouvez admirer l’adaptation animée de son livre Mon tout petit.
2) Le court métrage appartient au programme Les fables de M.Renard distribué par Little KMBO.